À 38 ans, Arnaud est redirectionniste au sein de l’agence vingt et un vingt deux depuis 2020, acteur du monde de l’industrie depuis plus de 10 ans et acteur engagé de la transition écologique et sociale.
» En 2000, je suis au lycée en filière scientifique et l’épreuve de TPE (travaux personnels encadrés) devient pour la première fois obligatoire au baccalauréat. Il s’agit de réaliser un dossier transdisciplinaire en binôme, sur un sujet de notre choix, que l’on présentera ensuite à un jury lors d’un oral. Avec un copain, on choisit de bosser sur le changement climatique. Originalité assurée : le sujet n’est pas en vogue, c’est un véritable ovni thématique !
Sur Google, qui vient d’être créé, on trouve 2-3, articles, pas plus, et un blog : celui d’un certain Jean-Marc Jancovici… qui nous fournira l’essentiel des connaissances présentées dans notre dossier. Dedans, pas d’analyse systémique : seulement un exposé sur les mécanismes physiques (effet de serre, fonte des glaciers, etc.) Pour l’oral, on prévoit de réaliser une expérience avec un glaçon devant le jury. L’objectif : montrer que la fonte de la banquise ne fait pas augmenter le niveau des mers. Le jour de l’oral, on oublie le glaçon et la prof de bio nous engueule, mais on s’en tire avec une bonne note.
l’industrie, une école d’humilité
J’oublie un temps ces histoires de réchauffement climatique. Je pars en prépa commerce, j’entre à l’ESSEC. J’adore lire, la philo et l’histoire : pour mon premier stage, je vais chez Hachette. Immense déception : le lien avec le livre est très faible, mon poste est commercial, je m’ennuie. Je teste d’autres univers : Michelin en Allemagne, le développement économique régional aux États-Unis, la DGA à Paris. Mais quand je sors de l’ESSEC en 2008, je suis toujours perdu sur le plan professionnel.
Par contre, je sais que je suis très amoureux de ma copine Céline, et que je veux la suivre à Nancy où elle entre en école d’agronomie ! À l’époque déjà, je fais passer ma vie personnelle avant ma vie professionnelle. Je trouve un job dans une TPE parisienne qui accepte le télétravail tout en m’offrant l’opportunité de travailler sur un projet riche de sens, en lien avec le handicap visuel..
Une fois Céline diplômée, en 2010, et après l’échec du projet porté par ma première boîte, je choisis de rejoindre une grande entreprise dans le secteur de l’industrie : finalement, j’avais plutôt aimé l’expérience Michelin en Allemagne. C’est parti pour dix ans dans l’industrie, dont sept dans le bâtiment (ciment, béton, génie climatique).
Ce qui me plaît dans l’industrie, c’est à la fois le côté « impressionnant » des processus de transformation de la matière (notamment dans l’industrie lourde) mais aussi l’importance accordé toujours au « facteur humain », malgré l’automatisation et la robotisation. J’aime cet univers où je côtoie tous les profils, des ouvriers sur les chantiers aux « grands directeurs » dans les bureaux au siège. Et je me sens bien avec tout le monde ! La diversité des expertises est très enrichissante, leur complémentarité est frappante. Je comprends vite que les bonnes idées, seul dans un coin sur le papier, ne servent à rien. Et surtout qu’il y a toujours une vraie différence entre une belle idée… et sa réalisation concrète, opérationnelle. Pour moi qui avais suivi jusque là le parcours académique purement « intellectuel », ce retour sur terre a été une vraie école de l’humilité !
Du survivalisme à l’écologie
La crise financière de 2008 m’a fait comprendre la fragilité de notre système économique et m’a fait découvrir le survivalisme. Au delà des clichés qu’il porte, le mouvement survivaliste fait le constat d’un dysfonctionnement global du monde, et pose la question de la résilience personnelle mais aussi et surtout collective dans un monde qui s’effondre. Le survivalisme sème chez moi l’idée d’acheter une petite maison à la campagne pour nous y installer… Mais ces réflexions restent abstraites car comment se lancer concrètement dans un tel projet sans renoncer à tellement de choses ?
En 2013 cependant, j’arrive dans le monde du bâtiment et je commence à travailler sur les enjeux environnementaux du monde du ciment, une industrie souvent qualifiée de (très) polluante. Je monte en compétence sur la thématique environnementale et commence à faire le lien entre l’effondrement et l’écologie. Au même moment, je découvre Pablo Servigne : le premier, hors mouvance survivaliste, que j’entends parler d’effondrement. Il m’apporte une vision globale et systémique des enjeux écologiques. Cette lecture me pousse à envisager l’effondrement dans une perspective peut être moins « extrême » que celle suggérée par certains survivalistes. Je m’ouvre à des lectures plus diversifiées, avec par exemple les livres de l’économiste et prêtre jésuite Gaël Giraud.
La vie de cadre, un cadeau empoisonné
Au travail, je m’enfonce dans la lassitude, mais ce n’est pas tellement à cause du secteur. Je reste très attaché à l’univers de l’industrie lourde : on y affronte de vrais problèmes, on cherche à répondre à des besoins essentiels ! Notamment se loger – construire des habitations, rénover des bâtiments… On a souvent l’image de secteurs peu soucieux de l’environnement quand on pense à ces industries. Mais j’y ai, au contraire, très souvent rencontré plein de salariés (jeunes ou moins jeunes) soucieux de trouver des solutions aux défis environnementaux… Cependant, qui dit industrie lourde dit “gros investissements” et souvent une certaine inertie associée… En outre, au fil de mon évolution de carrière, je disposais d’équipes toujours plus grandes et de budgets toujours plus importants… au prix d’un éloignement accru des enjeux opérationnels. J’avais le sentiment de passer toujours plus de temps sur de la coordination de prestataires qui faisaient “à ma place” ou sur du reporting pour justifier mes actions… au détriment de projets concrets, notamment sur les enjeux de transition.
Au fil des années, cette situation commençait de plus en plus à me peser… ou , a minima, commençait à créer une certaine “tension intérieure”. Tension car si j’avais le sentiment que les défis du quotidien professionnel n’étaient pas toujours à la hauteur des enjeux, le confort de cette vie de cadre rendait la perspective d’un renoncement pas toujours facile… Je sens par exemple que quitter en route, cette ascension de postes et des salaires qui vont avec, toute tracée quand on sort d’une école comme l’ESSEC, peut me donner un sentiment d’échec. Je vais me comparer à mes anciens camarades, qui eux, continueront de grimper. C’est dur de s’avouer que l’ego est un frein, mais c’est vrai, et il faut être capable de l’affronter pour réussir sa transition personnelle.
Les enfants, catalyseurs du changement
Ce qui va m’aider à passer le cap, ce sont les enfants. Notre fille Noémie naît en 2014, Clément arrive trois ans plus tard. Cela pose mille questions et nous met face à nos contradictions. Comment veut-on les élever ? Quelles valeurs leur transmettre, quel quotidien leur offrir ? Dans quel monde veut-on les voir grandir ?
Mais surtout…
Quelle image souhaite-t-on qu’ils aient de nous ?
Alors, au début, on introduit des changements progressifs : on fait beaucoup plus attention à l’alimentation, on essaye de mieux organiser son temps entre vie pro et vie perso . Mais très vite, on réalise que c’est loin d’être suffisant. Notamment car les enfants sont très forts pour mettre le doigt sur nos contradictions, notamment celles qu’on essaie d’enfouir sous le tapis ! Pour ma part, j’ai réalisé peu à peu que je ne voyais pas comment leur parler d’écologie, comment mettre en place un mode de vie plus respectueux de l’environnement à la maison, tout en continuant à travailler au coeur d’un système économique qu’il faudrait entièrement transformer. En outre, j’ai réalisé aussi que j’avais énormément de difficultés à leur expliquer concrètement ce que je faisais au quotidien. Des réunions ? Des power-points ? De la coordination ou de la gestion de projet transverse ? Cette étape a été un réel catalyseur : il fallait absolument que mes enfants comprennent ce que je faisais de ma vie… et qu’ils en soient fiers. Encore une fois, l’ego entre en scène mais cette fois comme moteur du changement plutôt que comme frein.
Avec Céline, on se fixe donc un objectif : changer de vie en 2 ans. Quitter la région parisienne, trouver un nouveau port d’attache, quitter mon job pour un nouvel univers en tant qu’indépendant dans le domaine de la transition. Le timing est serré, d’autant qu’on décide de créer un blog, Famille Durable, pour rendre public notre démarche et ainsi nous “forcer” à ne pas renoncer. Tant de questions se posent : financières, professionnelles, personnelles, immobilières. On fait face à nos peurs et à nos résistances au changement. Mais on avance, tant bien que mal. Début 2019, on est prêts : maison en vente, nouveau lieu de vie trouvé, calculs financiers effectués. On peut appuyer sur le bouton !
Le premier jour du reste de ta vie
Quand j’ai annoncé à mes collègues que je quittais mon travail et que je partais m’installer à la campagne, plusieurs m’ont confié avoir le même rêve depuis des années, dix ou vingt ans même, sans jamais passer le cap. On trouve toujours des bonnes raisons d’attendre. On compense la peur de l’action par la réflexion. Mais le plus souvent, ce ne sont pas des circonstances extérieures qui freinent : c’est à l’intérieur que ça bloque. Je l’évoquais juste avant mais un énorme frein pour moi, c’était le poids du regard des gens de mon milieu, de mes études. Le sentiment de “cracher dans la soupe” en remettant en cause un chemin valorisé et valorisant (au moins sur le papier…). Pour d’autres, c’est la peur de manquer qui empêche de franchir le pas. Pour d’autres encore, c’est la crainte de ne pas être aligné dans le couple sur le sujet. Bref, j’ai compris, en “appuyant sur le bouton” du changement de vie, que changer, c’est renoncer… mais aussi poser de nouvelles fondations. Oui, cela crée des tensions liées à de nouvelles incertitudes. Oui l’inconfort de sortir – justement – de sa zone de confort est parfois difficile à vivre. Mais ces tensions activent de nouveaux réflexes : elles nous poussent à développer de nouvelles compétences – pour moi, passer d’un profil “marketing” et à profil plus “développement durable”, à développer de nouveaux réseaux, à rencontrer de nouvelles personnes.
Ces tensions sont source d’une nouvelle énergie, d’une “force de vie” qui aide à franchir les obstacles les uns après les autres. Car oui, cela n’a pas été simple d’arriver dans une nouvelle région, en créant sa structure en plein contexte de confinement. Et pourtant, si c’était à refaire, je ne changerais rien à ce que j’ai fait. Deux fois moins de salaire mais deux fois plus de temps de bénévolat, à animer des ateliers philo dans les écoles ou à lancer des initiatives de transition dans mon village. Ce changement de vie, concrètement, je le considère comme un cas pratique de “redirection écologique” appliqué à ma propre vie. Compréhension, renoncement, alignement, cohérence, progression. Autant de concepts que j’ai pu / que j’ai du mettre en œuvre dans ma vie pour la transformer profondément. Et qu’aujourd’hui, avec Vincent, Aurélie, Hervé et Marion, je transmets aux entreprises pour les aligner avec les limites planétaires !